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Ni Putes Ni Soumises 56
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29 mai 2007

Sohane. Justice pour un symbole.

Article issu de l’express du Jeudi 30 mars 2006.

par Henri Haget

    En octobre 2002, cette jeune habitante de Vitry-sur-Seine mourait brûlée vive au pied de son HLM. Alors qu'est jugé à partir d'aujourd'hui celui qui voulait lui "donner une leçon", retour sur une affaire devenue emblématique de la cause des filles des cités

Dans les heures qui précèdent le drame, les portables chauffent à la cité Balzac, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). La rumeur ricoche sous les porches de la vieille barre HLM. «Nono» va faire une connerie, «un truc de “ouf”». Il l'a dit à la copine d'une copine de Sohane. Parole de Nono, ce coup-ci, il ne va pas se dégonfler. Dans la cité, si on se dégonfle, on n'est rien, et même moins que rien. Or, le respect, Nono y tient. Celui des autres, en tout cas. Pas comme cette fois où Issa, le petit ami de Sohane, lui a foutu une trempe derrière le stade. Nono n'a pas digéré. Il a tourné, retourné la situation dans sa tête. Si Issa est trop costaud pour lui, Sohane, elle, n'a qu'à bien se tenir.


Ni putes ni soumises, le bilan

Tout le gotha politique se bousculait, le 8 mars, pour inaugurer la Maison de la mixité, dans le XXe arrondissement de Paris: Laurent Fabius, François Hollande, Bertrand Delanoë, Jean-Louis Debré. L'actrice Charlotte Valandrey et Simone Veil, entre autres personnalités, accompagnaient Jacques Chirac, venu boire le verre de l'amitié. Trois ans après sa création à la suite du meurtre de Sohane, l'association Ni putes ni soumises (NPNS), qui voulait «rompre la loi du silence» et l'isolement dans lequel se trouvaient nombre de jeunes filles et de femmes dans les cités, est devenue une institution. Pourtant - revers du succès médiatique - le mouvement présidé par Fadela Amara n'est pas sans détracteurs. Certains lui reprochent, à cause de sa lutte pour la laïcité, une idéologie trop «républicaniste». D'autres l'accusent de ne pas s'attaquer aux vrais problèmes. «Le mouvement a été très important pour briser certains tabous, comme celui de la violence sexiste, défend la journaliste Caroline Fourest, un temps marraine de l'association. Aujourd'hui, le combat doit être plus large et intégrer le racisme et la montée de l'intégrisme.» Les émeutes de novembre 2005 posent aussi des questions sociales qui ne sont pas suffisamment prises en compte par NPNS. «Le travail doit être plus global, affirme Loubna Méliane, organisatrice de la première Marche des femmes contre les ghettos et vice-présidente de SOS-Racisme. On ne peut séparer la question de l'égalité hommes-femmes de la situation générale.» Malgré ces critiques, NPNS fait des émules. Des comités ont été ouverts en Suède, en Espagne, aux Pays-Bas et en Belgique.
par Jean-Sébastien Stehli

Une leçon. Une bonne leçon. C'est à cela qu'il pense en cette soirée du 4 octobre 2002, dans le local à poubelles de l'escalier H, en renversant une bouteille d'essence sur la tête de Sohane Benziane. C'est à cela, toujours, qu'il va se raccrocher, à partir du 31 mars, devant la cour d'assises du Val-de-Marne, à Créteil, pour plaider sa version du cauchemar. Clara (1), une amie de Sohane qui a assisté à la scène - Nono voulant faire un exemple, il fallait des témoins - raconte aux enquêteurs comment elle a vu le petit caïd jouer avec son briquet, approchant puis éloignant la flamme du visage de Sohane: «Tu crois que je serais pas capable?» Et le feu a pris en un dixième de seconde.

Nono, de son vrai nom Jamal Derrar, ignorait que les vapeurs d'essence pouvaient s'embraser et que la flamme n'avait pas besoin d'être en contact avec Sohane pour la transformer en torche vivante. Un accident, donc. C'est ce qu'il dit. Me Denis Giraud, l'avocat du meurtrier présumé, ne recule pas devant la comparaison pour appuyer sa démonstration. «Savez-vous qu'un simple portable allumé près d'une pompe à essence peut déclencher un incendie?»

Les coups de fil alarmistes des copines de la cité Balzac qu'elles se remémoreront plus tard devant la juge Catherine Giudicelli - «Elle est où, Sohane? Il faut qu'elle fasse attention, Nono, il est énervé... Je sais pas ce qu'il veut lui faire, mais il est énervé. Je crois qu'il veut la tacler...» - ne prouvent rien. «Tacler», cela veut dire tout et n'importe quoi, dans le parler de la cité. Tout sauf un crime dûment prémédité. D'ailleurs, la requalification des faits, dans l'ordonnance de renvoi devant la cour d'assises du 5 janvier 2005, va plutôt dans ce sens, remplaçant l'accusation d'assassinat par celle d' «actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner». Me Giraud, qui n'est pas parti pour se laisser impressionner par la dimension emblématique du procès, réfute cette nouvelle terminologie. «Pour qu'il y ait torture et barbarie, il faut que cela dure un peu...» De fait, tout est allé vite.

Très vite pour la pauvre Sohane, morte brûlée vive à 17 ans sur le carré de gazon qui jouxte le local à poubelles du bâtiment H. Très vite, aussi, pour donner à l'affaire un retentissement si exemplaire, si bruyant que la famille Benziane semble à présent revenue de cette émotion collective propice à toutes les récupérations. «Il y avait des choses à dire, un cri de douleur à pousser, au lendemain de la mort de Sohane, explique sa sœur aînée, Kahina, 25 ans. Aujourd'hui, le procès de son meurtrier se joue devant la cour d'assises, pas dans les journaux.» Une façon de proclamer que, pour les proches de la jeune fille, le deuil n'est pas soluble dans la crise des banlieues ni dans aucune autre problématique de société. L'absence de l'association Ni putes ni soumises des bancs de la partie civile n'est pas un hasard. Aux dernières nouvelles, Kahina aurait même refusé que Fadela Amara, fondatrice et présidente du mouvement, soit citée comme témoin. Finalement, seule la Ligue du droit international des femmes (LDIF) épaulera la famille Benziane durant le procès de Jamal Derrar.

C'est vrai qu'elles ont fait beaucoup de foin autour de la mort de Sohane, les Ni putes ni soumises. Et si, pour les filles des cités, au bout du compte, peu de choses ont changé pour le mouvement, qui parle haut et fort en leur nom, il y a un avant et un après octobre 2002. C'est d'ailleurs de Vitry-sur-Seine que s'élance la Marche des femmes contre les ghettos et pour l'égalité, qui, quelques mois plus tard, fait l'ouverture des journaux télévisés. Mais ce n'est pas sur le plateau du 20 Heures que se perpétue la mémoire de Sohane. C'est sur le terrain.


Femmes: un livre de combats

Au moment où vient d'être voté définitivement au Parlement, le 23 mars, un texte de loi visant à lutter contre les violences conjugales, les mariages forcés, l'excision et le tourisme sexuel, un gros pavé, tout juste tombé sur les étals des libraires, dresse un état des lieux à peu près complet de la condition féminine à travers le monde. Mené par la journaliste Christine Ockrent, avec Sandrine Treiner, Le Livre noir de la condition des femmes (XO éditions) rappelle utilement que l'irrésistible lame de fond en faveur de l'égalité des sexes qui balaie ces temps-ci les archaïsmes des pays occidentaux est loin d'être la norme. Regroupant une quarantaine de contributions sur des sujets aussi divers que les prostituées chinoises, l'excision au Kurdistan, les lapidations en Iran, les jeux islamiques féminins, le droit à l'avortement, la scolarisation des filles, l'ouvrage recense les combats à mener sous cinq chapitres: sécurité, intégrité, liberté, dignité, égalité. «Ce livre n'est pas un cahier de doléances, écrit Christine Ockrent, mais tout au contraire l'expression d'une détermination.» Un hymne aux bagarreuses.
par Jacqueline Remy

Trois ans. Il aura fallu trois ans pour que les trois mots «morte brûlée vive» soient ajoutés à la plaque de marbre noir commémorant Sohane Benziane dans le quartier Balzac. Trois mots lourds de sens qui, pour le maire (PCF) de Vitry-sur-Seine, Alain Audoubert, stigmatisent inutilement sa commune et ses habitants. «L'horreur du drame ne serait pas moindre si elle avait été poignardée ou étranglée», écrivait-il à Annie Sugier, présidente, aussi pugnace que peu médiatique, de la LDIF. «Quand on rend hommage à un résistant, on stipule qu'il est mort fusillé, explique-t-elle. Or, sans le savoir, Sohane était aussi une résistante.» A sa manière de s'émanciper des interdits de Jamal Derrar et de continuer, elle, la fille de la cité Bourgogne, à rendre visite à ses copines de la cité Balzac, à 100 mètres de là. Une provocation pour Nono, ce gamin dont le tendre surnom traduit si bien l'ambivalence. Au pied de son bâtiment, il aide les petites vieilles à porter leur cabas et passerait presque pour un enfant modèle, comme à l'époque où il était inscrit dans une école privée - catholique - à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). Mais on ne sait jamais d'où il tire l'argent qui lui permet d'inviter les mômes du quartier au McDo. Il est déscolarisé depuis que la police a été requise pour le déloger du bureau du proviseur du lycée Jean-Macé, où il briguait tant bien que mal un BEP vente.

Quand il parle du drame, il hoquette, il pleure, il apitoierait presque: «Sohane me disait “arrête” et puis, tout d'un coup, j'ai vu que du feu...», a-t-il expliqué lors d'une expertise psychiatrique. Le médecin n'a relevé aucun trait anormalement saillant dans son caractère. Un gamin presque comme les autres. Etranger à l'obscurantisme religieux. Juste un brin soumis au déterminisme social et culturel de la cité. Mais la victime, c'est Sohane. «Et il ne faut pas l'oublier...» lâche Kahina d'une voix douce et si lasse.

(1) Certains prénoms ont été changés.

 
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